“ Mademoiselle,
Il y a quelques jours, une belle fête provençale réunissait presque tous les félibres à Villeneuve, une charmante petite ville
aux bords du Rhône, en face d’Avignon. C’était la fête de la Souche ; une vieille coutume patriarcale et touchante, comme tout ce qui vient des aïeux, veut que dès que la vigne pousse on arrache
le plus beau cep du pays et qu’on le porte à l’église, où il reçoit la bénédiction du curé.
Cela se fait en grande cérémonie, il y a une procession, des fifres et des tambourins ; la souche est enguirlandée de rubans et
de fleurs, et un jeune paysan, en costume du temps de Henri III, la porte sur son épaule. Et puis, de temps en temps, la procession s’arrête, et l’on danse la Danse de la Souche sur un rythme
original, et l’on chante une antique complainte, mêlée de français, de provençal et de grec. Si vous me le permettez, Mademoiselle, je vous en donnerai l’air, noté par un de mes amis.
Le soir venu, la souche est brûlée dans un immense feu de joie, et, à la lueur des flammes et des étincelles, commence une
farandole sans fin. Chaque ville et village de Provence a ses coutumes traditionnelles, mais celle-ci est assurément l’une des plus jolies et des plus poétiques. Sans doute c’est que le printemps
est là avec toutes ses promesses et toutes ses joies ; l’air est doux ; le ciel magnifique ; le rossignol chante dans les haies et le cœur s’ouvre enivré à cette suave influence.
Cette année, les Prieurs de la fête avaient invité les félibres et ils étaient venus à cet appel cordial. Tous les dialectes du
Midi étaient représentés. Ah ! Ce sont là de belles et trop rares réunions, où se fait un admirable échange de hautes pensées, de patriotiques projets, où notre amour de la Provence que nous
adorons, éclate en strophes ardentes, en chansons spirituelles, en éloquentes improvisations.
Et c’est un admirable spectacle que cette variété d’inspiration dans l’unanime sentiment qui nous exalte. Ce sont de ces choses
qu’il est difficile de raconter, comme tout ce qui touche au fond de l’âme et qu’il fait bien meilleur voir et sentir par soi-même,…”
Avignon, 10 mai 1870. Théodore Aubanel.
Correspondance entre le poète et La comtesse du Terrail.
Source : http://fetedesaintmarc.com/