Jérôme Bressy est issu d'une famille vigneronne qui se contentait de porter en cave le fruit de son travail, comme beaucoup des vieilles générations, ici comme ailleurs... Il a été le premier de sa lignée à vinifier, en 1996 ; en cela il s'est démarqué mais pas que. Passionné de vieux ouvrages sur la vigne et l'agriculture d'Olivier de Serres (le Théâtre de l'Agriculture) ou de l'Abbé Rozier, il s'est lancé dès 1993 dans la biodynamie, avant même de commencer à vinifier ! Il a obtenu la certification Déméter en 2008...
Il a replanté des vieux cépages : picardan, counoise, terret noir et vaccarèse et d'autres cépages encore ; il pratique la complantation (parcelles plantées de plusieurs cépages en mélange) ; une façon alternative de conduire la vigne qui gêne probablement... Bref, il est ce qu'on appelle un artisan de la vigne, un paysan dans le sens noble du terme. Après avoir été vinifiés en Côtes-du-Rhône Villages Rasteau, puis en cru Rasteau, ses vins portent désormais la bannière de l'IGP Vaucluse.
Pour comprendre la sortie du domaine Gourt de Mautens du cru Rasteau et pour découvrir le picardan, vieux cépage blanc de la région (évoqué ici), j'ai longuement discuté avec Jérôme Bressy (et j'ai un peu dégusté aussi ses vins, forcément...).
Lors du passage en cru en 2010, son vin rouge est bel et bien en cru Rasteau, en 2011 aussi. Que s'est-il donc passé l'été dernier ? L'ODG lui envoie un courrier de contrôle avec des fiches de renseignements que le vigneron remplit avec conscience (et confiance). Un procès verbal lui énoncera que seuls 4 ha sur les 12 que compte le domaine, peuvent répondre favorablement au cahier des charges du cru Rasteau. Et encore... La complantation pose souci, les vieux cépages aussi : ces derniers représentent 27% de l'encépagement, soit bien plus que ce qui est autorisé. Le vigneron sent qu'on va lui chercher des poux dans la vigne, il sort entièrement du cru Rasteau et de l'appellation Côtes-du-Rhône, qui exclut certains cépages également (les gris notamment). Les trois couleurs du domaine sont désormais produites en IGP Vaucluse : Jérôme Bressy produit trois vins, trois couleurs, en toute liberté, mais sortir de l'AOC peut être frustrant (surtout au moment même du passage en cru), pénalisant en terme de reconnaissance, bloquant sur certains marchés export et nécessitant un surcroît d'énergie. Sans parler de la valorisation financière des vins...
Quid aussi de Marcel Richaud qui pratique un peu le même genre de conduite de la vigne (et notamment la sauvegarde des vieux cépages) à l'heure où la question du passage en cru se pose à Cairanne de façon cruciale et largement débattue ?
Le système centenaire créé par le baron Le Roy (ci-contre) et Joseph Capus pour valoriser la qualité du vin ne s'est-il pas éloigné de ses principes de base ? L'artisanat de la vigne laisse place de plus en plus à une certaine industrialisation, centrée sur l'arrachage de vieilles vignes, la plantation de clones imposés (grenache-syrah est le duo majoritaire ici, mais les politiques d'aoc sont souvent les mêmes partout), l'irrigation, des rendements autorisés trop élevés...
Alors tant pis pour l'appellation, les vins sont superbes et taillés pour la garde, du blanc au rouge. Le travail dans la vigne s'appuie sur la biodynamie, respect de la terre et traitements sur mesure (silice, ortie, petit lait..). A la vendange, la récolte est triée, égrappée partiellement, légèrement foulée pour les rouges. En cave, pas de levurage, léger sulfitage, des remontages juste ce qu'il faut, pas de pigeage, extraction douce, macération d'environ 15 jours et vieillissement en cuve inox, foudres et/ou demi-muydts, 18 mois pour les blancs et rosés, 34 à 36 mois pour les rouges. Le 2011 sera ainsi mis en bouteilles en 2014...
Jérôme Bressy fait également vieillir en bouteilles de façon à délivrer un vin "affiné", prêt à boire... Le blanc, à base de picardan et de clairette en majorité, a beaucoup de finesse ; le rouge est concentré, une structure puissante, de solides tanins qui sauront s'affiner avec le temps, des fruits et épices douces évoluant sur des notes de torréfaction, de cuir, de cigare. Dans le détail, le 2011 fait penser à un Cairanne. Il s'ouvre sur un nez un peu fumé, avec des notes végétales, complexité et finesse aromatique en bouche, beaucoup d'équilibre et une très belle longueur ; le 2009 est plus expressif, plus fruité, gourmand mais trapu, plus serré en bouche, finale sur les épices ; le 2008 est superbement floral, notes de pivoine et de poivre, il explose littéralement jusqau'à la fin de bouche, belle longueur encore. Gros coup de coeur pour le rosé 2010, vinifié comme un blanc : tendu, oxydatif avec des notes fumées, de silex. Très belle minéralité et une jolie expression pour un rosé de gastronomie ! A suivre pour un accord estival...
Gourt de Mautens
Route de Cairanne
84110 Rasteau
Site Internet